Bienvenue à la N.H.K ! : Le rock d'un nouveau genre - Partie Trois

From Baka-Tsuki
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Partie Trois[edit]

Yamazaki travaillait seul sur le jeu. En utilisant la moitié de scénario que j'avais écrite, il créait le jeu lui-même. Tout en continuant à s'enfiler les hallucinogènes qu'on avait achetés quelques jours auparavant, il était silencieusement concentré sur son PC. Était-ce là une nouvelle forme de fuite de la réalité ? C'était vraiment la voie la plus extrême qui pouvait exister. Mais n'empêche, était-il vraiment possible de créer un jeu en étant shooté aux hallucinogènes ? Tout en me penchant par-dessus l'épaule de Yamazaki, je regardai l'écran de son PC.

L'écran était rempli de petits caractères.

― La gigantesque organisation qui contrôle la mort lente et douloureuse, l'anxiété, le mal, l'enfer, le poison, les abysses et tout le tintouin ― c'est notre ennemi, et on doit tout faire pour la vaincre et ainsi gagner l'amour de l'héroïne ! Telle est la mission du jeu. Le méchant est invisible, et on ignore où il se trouve, alors attention ! Il pourrait te poignarder dans le dos. C'est dangereux, très dangereux...

― C'est quoi ça ? demandai-je à Yamazaki.

Yamazaki fit lentement pivoter sa chaise. Il avait les pupilles complètement dilatées. Sa bouche était grande ouverte, formant un sourire de psychopathe, du genre à faire peur à n'importe qui.

― Comment ça ? Ça crève les yeux pourtant, non ? C'est mon eroge. C'est un RPG ― un jeu de rôle ― et le joueur se retrouve dans la peau du héros. Le joueur progresse dans le jeu en lisant les carrés de texte. De cette façon, il apprendra toutes sortes de choses importantes ; en plus de ça, l'héroïne est trop moe moe. Regarde. Elle te laisse baba, hein ? C'est une extra-terrestre avec des oreilles de chat. Elle se fait capturer par l'ennemi. Et par l'ennemi, j'entends le méchant ― celui qu'on ne peut pas voir. Le véritable but du jeu est de rendre ces ennemis invisibles visibles. C'est là que réside la vérité de la vie, pas vrai ? Tu comprends ? Autrement dit, j'ai été éveillé par la vérité de ce monde. J'ai réalisé que ma mission consiste à répandre mon illumination au monde entier, et que les eroges deviendront les Bibles du nouveau siècle. Je vais les vendre par millions. Je vais devenir riche. Alors... Euh, c'est cool. Hé, Satô, tu t'amuses bien, toi aussi, pas vrai ?

Tremblant, je fis un pas en arrière. Ce faisant, un rire métallique s'échappa de la bouche de Yamazaki. Comme si ça avait réveillé quelque chose en lui, son ricanement allait rapidement crescendo.

― Ha ha ha, ha ha, ha ha ha ! Oh, ce que c'est drôle !

Yamazaki tomba lourdement de sa chaise, en atterrissant à quatre pattes. Il rampa jusqu'à moi, le corps tremblant. Son apparence me faisait penser à ces zombies qu'on voit dans les films d'horreur.

Je fus pris de panique et j'étais terrifié, figé sur place.

Tout en saisissant mes chevilles, Yamazaki cria :

― C'est trop marrant, vraiment trop marrant ! J'y peux rien !

J'avais moi-même tellement peur que je ne pouvais rien faire, moi non plus.

― Je me sens vide, si vide que j'en peux plus !

Sur ce point, on ressentait la même chose lui et moi ; mais Yamazaki, dans les affres de son trip, faisait effroyablement peur. Je priai pour qu'il retrouve son état normal au plus vite, mais en vain. Le sourire tremblant, il continuait à ricaner tout seul.

Voyant que c'était sans espoir, je décidai de rendre les armes. J'absorbai la drogue blanche par le nez. Elle fit immédiatement effet.

Ah, magnifique... C'est super... Je me sens si bien... Y'a que ça de vrai.

Oh... J'en peux plus... Je vais mourir ? J'ai mal... Quelle honte... Qu'est-ce que je peux bien faire ? ... Rien, y'a rien à faire... Ah, je me meurs...

C'était encore un bad trip.

Les effets d'un hallucinogène dépendent de l'état psychologique et de l'environnement du consommateur ; en gros, le résultat varie selon l'état d'esprit du consommateur et l'ambiance. Si le consommateur a l'impression de passer du bon temps au moment de prendre de la drogue, il sera au paradis ; a contrario, s'il est déprimé, ce sera direction l'enfer. Prendre de la drogue dans l'intention de fuir la réalité n'a aucune chance de donner des résultats positifs.

Bien entendu, j'en étais parfaitement conscient. Je l'étais, mais... mais mes sens embrouillés par la drogue étaient envahis par une peur spectaculaire et palpable. C'était différent de la vague inquiétude que je ressentais tous les jours. C'était presque visible ― une incertitude claire comme de l'eau de roche et facilement compréhensible.

Oui, cette incertitude se matérialisait en moi par une peur gigantesque mais visible et facilement compréhensible. C'est peut-être même moi qui l'avais voulu ainsi. Comparée à mes incertitudes quotidiennes, qui me torturaient petit à petit, lentement mais sûrement, cette dépression due à la drogue paraissait peut-être même agréable à côté.

Yamazaki se tourna vers le réfrigérateur et tendit son poing.

― Grrr, si c'est la bagarre que tu cherches, alors amène-toi ! Je suis ton homme !

Il semblait que Yamazaki se battait contre un ennemi imaginaire.

Moi, par contre, j'étais assis en tremblotant dans le coin, tout en me tenant la tête et en serrant fort mes jambes contre mon corps.

― Arrêtez ! N'approchez pas !

L'ennemi était proche. Malgré ma peur, je m'amusais plus ou moins bien. Être pourchassé et tué par des méchants était une vision exaltante. Ma paranoïa m'excitait au plus haut point.

Elle me stimulait. En gros, c'était agréable.

Et qui dit agréable, dit aussi amusant.

Exactement ! Autrement dit, on était heureux. J'avais tranché, c'était le meilleur trip que j'avais jamais eu ! Maintenant, je comprenais vraiment le style de vie rock & roll. J'avais décidé de parfaire encore un peu plus ce style de vie.

― Après les drogues, vient la violence !

Avant que les effets de la drogue ne s'estompent, on sortit en trombe de l'appartement et on se dirigea vers le parc.

On allait se battre. Ce soir-là, nous allions déplacer notre violence dans le parc grand ouvert. Comme des jeunes gens dans leur jeunesse éphémère, il nous fallait nous battre ! Nous battre de façon dramatique, de façon spectaculaire, et avec la même passion que les kick-boxeurs de la K-1 ! Ainsi, on pourrait connaître encore plus de plaisir...

Le soleil s'était couché depuis un moment, et il n'y avait pas un chat autour de nous. S'il y avait eu des gens, on aurait eu des problèmes. Et ça aurait été gênant.

Sous les lampadaires du parc, on se tenait l'un en face de l'autre. Je portais un maillot et un T-shirt, et Yamazaki un sweatshirt. On était tous les deux habillés de façon à pouvoir bouger facilement. On était prêts à en découdre.

Comme les drogues faisaient encore effet, Yamazaki n'avait pas sa langue dans sa poche. Il continuait à déblatérer un charabia incompréhensible.

― Ça arrive souvent. Ces séries télé où deux jeunes beaux acteurs, se disputant au sujet de leur jeunesse, de l'amour, et autres, se battent l'un contre l'autre dans un parc, trempés par la pluie. « Tu ne comprends rien à l'amour ! »... « J'aime Hitomi de tout mon cœur ! »... « Pif ! Paf ! Bang ! » Ce genre de choses...

Tout en m'étirant, je lui fis signe de continuer.

― Dans mon cœur, j'aime vraiment ce genre de séries télé car il y a un fond de vérité dedans. Parce qu'il y a l'introduction, le développement, le retournement de situation et la décision, ensuite, il y a une explosion d'émotions, et enfin la conclusion... Et de l'autre côté, nos vies sont continuellement emplies par une vague inquiétude rêveuse, et il n'y a ni drames, ni situations, ni confrontations facilement compréhensibles ― rien de tout ça... Tu trouves pas ça absurde ? J'ai vingt ans, et toi vingt-deux, Satô. Et malgré ça, nous n'avons jamais vraiment ni aimé personne, ni haï qui que soit, ou encore vécu ce genre de choses. C'est vraiment triste !

À ce moment-là, Yamazaki me secoua violemment par les épaules alors que je m'étirais les tendons d'Achille.

Il dit :

― Tâchons de nous battre de façon dramatique ! Magnifiquement, avec vivacité, et brutalement ! Battons-nous avec tous ces concepts à l'esprit !

― Ouais !

Je lâchai un cri guerrier et me mis en posture de combat.

Et ainsi, on commença à se battre l'un contre l'autre. Notre combat était fâcheusement bucolique. Il y avait des coups qui faisaient mal, mais la force d'un homme faible sous l'influence de la drogue était plus que limitée.

Yamazaki tentait désespérément de rendre le combat aussi excitant que possible, et donc il commença à crier des répliques dramatiques (bien que parfaitement abstraites) :

― Satô, tu comprends rien à rien !

Je ne pouvais tout de même pas laisser ses efforts vains, je me mis alors à mon tour à crier ce que je pensais être approprié à la situation.

― C'est toi qui as tort !

― Et en quoi est-ce que j'ai tort ?!

Je restai sans voix, ne m'attendant pas à une question aussi concrète de sa part. Le poing que j'agitais dans tous les sens s'arrêta net tandis que je réfléchissais à une réponse.

― Par exemple, t'as eu tort d'aller à l'Institut Yoyogi Animation, lui répondis-je en hésitant.

Au moment où je dis ça, Yamazaki me donna brusquement un coup de pied.

― Te moque pas de Yoyogi Animation !

― Aïe ! Qu'est-ce qui te prend de me frapper pour de vrai, espèce de-

― Tu te la pètes trop, alors que t'es qu'un hikikomori !

Le sang me monta à la tête.

― Meurs, sale lolicon ! Crève, sale otaku fan d'eroge !

Je lançai mon poing droit aussi fort que possible dans l'estomac de Yamazaki. Il gémit, chargea et me plaqua comme un rugbyman, toujours en gémissant. Entremêlés, on tomba sur le sol. Yamazaki m'enjamba ; je pouvais voir la lune derrière lui. J'allais en prendre pour mon grade si je restais comme ça.

Enroulant ma jambe autour de sa nuque, je réussis sans trop savoir comment m'extirper de ma position désavantageuse. On respirait tous les deux péniblement. Yamazaki me dévisagea ; puis, il baissa les yeux, en ricanant. Finalement, il poussa un gros soupir :

― Ah, c'était génial.

Je soupirai à mon tour.

― Mais c'est encore loin d'être fini. Continuons à nous battre jusqu'à la mort, dit-il.

On continua à se battre : violents coups de pied et limpides coups de poing, le combat passionné entre deux faibles hommes. Ça faisait mal. Ça faisait très, très mal. Et pourtant, c'était amusant ― amusant et vide de sens. Un coup s'enfonça dans le creux de mon estomac, faisant remonter de la bile dans ma gorge et des larmes à mes yeux, et j'étais heureux. Venant juste de se prendre un coup de pied à l'aine, Yamazaki avait l'air cool à sauter dans tous les sens.

Mais bon sang, qu'est-ce qu'on fout au juste ? Je transmis ce doute dans mon poing ― tout en frappant et me faisant frapper.

Soudain, je me souvins qu'on était déjà en juillet. Ça ne pouvait plus durer. Quelque chose devait changer et vite. J'allais vraisemblablement bientôt prendre une décision. J'étais sûr que j'allais rire le moment venu, que j'allais rire et sourire. T'es pas d'accord avec moi, Yamazaki...?

Pour le moment, on était couverts d'égratignures et de bleus. On avait mal partout. Nos corps nous faisaient souffrir terriblement. Une de mes dents de devant bougeait. Yamazaki avait un bel œil au beurre noir. Mon poing droit était écorché et en sang.

On venait juste d'avoir notre premier petit combat.

Pour bien faire, je donnai à Yamazaki un dernier coup de poing au visage. Il m'attrapa alors le bras, et je tombai par terre. De suite, Yamazaki me bloqua les articulations et me tordis le bras.

― Aïe, aïe, tu vas le casser, tu vas le casser !

J'essayai de taper sur le sol pour indiquer mon abandon.

― Je vais le casser, je vais le casser, je vais le casser en deux !

Je mordis le mollet de Yamazaki aussi fort que possible. Il cria :

― C'est pas dans les règles, ça !

― La ferme, je m'en tape. Mort à Yoyogi Animation !

― Je t'ai déjà dit que quand j'entendais ça, ça me mettait vraiment en rogne !

Il semblait que notre combat allait s'intensifier de plus belle.

Puis, on entendit, « Police ! »

Hein ?

― Ils sont par ici !

C'était le cri aigu d'une jeune femme. Yamazaki se releva d'un coup et prit ses jambes à son cou en direction de son appartement.

M'abandonnant, il avait fui seul.





Quelques minutes plus tard, je me retrouvai à me faire frapper par Misaki. Enfin, c'était des soi-disant « coups de fille » ; mais à cause de ma bagarre avec Yamazaki, j'étais déjà dans un sale état, ses coups faisaient tinter mes os. Hurlant de toutes ses forces, avec une voix qui ne semblait plus humaine, Misaki continuait de me frapper.

Je baissai la tête.

Misaki me donna encore une bonne douzaine de coups avant de finalement se calmer.

Autrement dit, la voix qui criait « Police ! » était celle de Misaki qui faisait semblant d'appeler la police. Après avoir dîné, elle était venue au parc comme d'habitude, où elle a vu deux hommes se disputer bruyamment et en train de se battre. Quand elle a réalisé que j'étais l'un des deux, ça l'avait naturellement ébranlée.

Après avoir rassemblé son courage à deux mains, elle semblait avoir ressenti le besoin de me venir en aide. Mais comme il n'y avait personne aux alentours et qu'elle n'avait pas de portable, elle n'avait pas su quoi faire. En fin de compte, elle avait décidé de faire comme s'il y avait un policier afin de me sauver.

― T'es pas croyable ! J'étais tellement inquiète ! J'ai cru que tu risquais de te faire tuer !

En fait, j'avais honte d'avoir inquiété Misaki, qui avait maintenant les larmes aux yeux. Je décidai de la faire rire avec une histoire à dormir debout.

― Bah, dans l'ombre de ce buisson là-bas, une fille se faisait attaquer par un pervers. Je me suis approché d'eux et je suis intervenu, en essayant de sauver la fille, mais le violeur a brusquement perdu son sang-froid. Il a sorti un couteau de sa poche et m'a sauté dessus ! Non, non, c'était vraiment chaud ! Si j'avais pas été là, quelqu'un aurait pu se faire tuer.

― C'est encore un gros bobard, pas vrai ?

― Ouais.

― Qu'est-ce que tu faisais au juste ?

Je lui racontai tout de A à Z.

Après une nouvelle crise de nerf, Misaki avait pour une raison ou une autre le visage triste. Assise sur le banc, elle marmonna :

― C'est pas bien de se battre entre amis. Même si c'est une blague, la violence, c'est mal ― très mal.

― Qu'est-ce que tu racontes ? Relax. C'était vraiment marrant ; c'est la première fois que je frappais quelqu'un et que je me prenais des coups. Et au final, je trouve que ça m'a fait du bien-

― J'ai dit que c'était mal !

― Pourquoi ? Le karaté te pose pas de problème pourtant.

Je fis des mouvements de boxe dans le vide devant elle. Alors que je mimais un crochet du droit, Misaki se mit à trembler et se protégea la tête avec ses bras.

― Hein ? dis-je.

Elle me regarda entre ses bras.

― Qu'est-ce qui t'arrive ? lui demandai-je.

Elle ne répondit pas mais baissa timidement les bras. Une fois encore, je fis mine de faire un crochet du droit. Et là encore, Misaki se protégea la tête avec les bras. Comme sa réaction était amusante, je répétai mes gestes plusieurs fois. À la fin, Misaki se recroquevilla, pétrifiée dans cette position, les bras recouvrant sa tête.

Son étrange position fit tomber ses manches jusqu'aux coudes, et j'en profitai pour regarder sa peau.

Avec la lumière bleutée des lampadaires, je pouvais voir que ses bras étaient couverts de ce qui semblait être des traces de brûlures. C'étaient des cicatrices circulaires, d'un diamètre d'environ cinq millimètres chacune. Elles ressemblaient beaucoup à celles laissées par ces pratiques des voyous de la campagne qui se brûlent les uns les autres pour montrer qu'ils en ont dans le pantalon.

Comme si elle avait senti mon regard, Misaki remonta ses manches. D'une voix tremblotante, elle demanda :

― Tu as vu ?

― Vu quoi ?

Je fis mine de ne pas comprendre de quoi elle parlait.

Maintenant que j'y pensais, Misaki portait toujours des vêtements à manches longues. Même avec la récente chaleur, elle continuait à les mettre ― mais, et alors ?

Je lui dis d'une voix gaie :

― Et la thérapie d'aujourd'hui ?

Misaki ne répondit pas. Son corps toujours courbé de façon défensive sur le banc, elle fit un brutal non de la tête. Même ses dents claquaient.

Un assez long blanc s'ensuivit.

Finalement, Misaki annonça, « Je rentre », en titubant fébrilement vers la sortie du parc.

De derrière, je la regardai partir, ébahi, réfléchissant à si je devais la retenir ou non. Misaki s'arrêta devant la balançoire et se retourna pour me demander :

― Tu me détestes maintenant, pas vrai ?

― Quoi ?

― Tu ne viendras sûrement plus jamais.

Elle était le genre de fille à faire des déclarations étrangement tranchées. On était l'un en face de l'autre, séparés d'une vingtaine de mètres.

Misaki me regarda droit dans les yeux, avant de rapidement détourner le regard. Puis, une fois encore, elle se retourna vers moi.

― Est-ce que tu viendras demain ?

― Si je ne respecte pas le contrat, je devrai payer un million de yens, non ?

― Euh, ouais. C'est vrai !

Finalement, Misaki esquissa un léger sourire.

Puis, je rentrai chez moi. Après avoir recouvert mon corps de bandages, je dormis. 


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