Bienvenue à la N.H.K ! : Plongeon - Partie Trois

From Baka-Tsuki
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Partie Trois[edit]

Une rage folle monta en moi. J'avais l'impression qu'elle s'était payé ma tête. Refoulant ces sentiments au plus profond de mon être, je dis d'un ton aussi gentil que possible :

― Bon, on rentre au bercail ! Ça caille ici !

― Je veux pas.

Comment ça tu veux pas ?! Ah, bordel de merde, tu vas arrêter de te foutre de moi ! J'étais presque sur le point de lui gueuler dessus aussi fort que je pouvais ; mais je réussis plus ou moins à me contrôler.

J'essayai de me souvenir de ce livre que j'avais lu il y a longtemps qui s'intitulait La Psychologie de l'automutilation. La théorie du livre était la suivante : « Ceux qui tentent de mettre fin à leurs jours ont en réalité envie que quelqu'un les sauve. Ils cherchent quelqu'un qui écoutera ce qu'ils ont à dire, alors essayez de les écouter calmement, en étant le plus doux et gentil possible, et en évitant de faire le moindre commentaire négatif. »

Tels semblaient être les points-clés.

Je me tournai vers Misaki en réarrangeant mon col. C'était pour transmettre une impression de douceur. Puis, je dis :

― Ne meurs pas. Continue à vivre !

Misaki sourit. C'était un sourire moqueur.

Je voulais lui raconter tout le mal que je m'étais donné pour arriver jusqu'ici ; mais bien sûr, je me retins de le faire. D'une voix douce, je lui demandai :

― Pourquoi avoir tenté de te suicider tout à coup ?

― Ce n'était pas du tout de ta faute, Satô.

― Je sais. Alors...

― J'en ai eu marre de vivre.

― C'est-à-dire ?

― J'en ai eu marre de tout. Je ne voyais plus de raison de continuer à vivre.

Elle sortait ces absurdités, un sourire toujours scotché sur ses lèvres. Est-ce qu'elle se payait bien ma tête au final ?

― Ouais, c'est vrai. Je ne pense plus que tu sois en mesure de m'aider, Satô. T'es juste un hikikomori au bout du compte.

Le sang me monta à la tête.

― Bah, vas-y, va mourir !

― Je vais mourir.

― Non ! Je plaisantais. Ne meurs pas. Si tu meurs, t'iras en enfer.

― Pas la peine de paniquer comme ça. Pour commencer, en gros, je suis déjà morte, vu tous les somnifères que j'ai avalés et que je stockais au fur et à mesure depuis plus d'un an. Si mon oncle ne m'avait pas trouvée, j'aurais réussi. Quoi que tu fasses, Satô, je suis déterminée à mourir.

Là, dans l'hiver froid, devant un cap, dans ce noir profond, on continuait à disserter sur la vie et la mort. La conversation était à des années-lumière du monde de tous les jours.

Minuit était passé depuis longtemps, et il faisait un froid de canard. Misaki claquait des dents.

― En tout cas, je vais mourir.

Elle commençait à jouer la provocation.

― Alors vas-y, essaye de m'arrêter si tu l'oses, même si je sais que c'est impossible.

Clairement, l'opinion traditionnelle de notre société sur le suicide ne tient plus à rien. Sans honte aucune, elle se rangeait du côté de la mort.

Je réfutai :

― Si tu dis des choses comme ça, Misaki, c'est que tu n'as plus vraiment envie de mourir, pas vrai ?

En réponse, Misaki mit sa main dans la poche de son manteau et sortit un objet métallique.

― J'ai un cutter sur moi.

La lame glissa hors de son manche. Elle déclara :

― Je vais me taillader les veines là maintenant !

― C'est dangereux !

J'essayai d'attraper la main de Misaki.

― T'approche pas !

Misaki sauta du banc pour éviter que je la saisisse.

― Je ne sais plus quoi faire. Je suis sûre que je suis devenue folle. Si tu t'approches, je risque de te faire mal !

Tout en criant ça, Misaki tendit son main droite qui tenait le cutter, et mit sa main gauche derrière son dos. Cela ressemblait à une sorte de position de combat.

― Qu'est-ce que tu fiches ?

― J'ai appris ça dans un livre appelé L'art du meurtre que j'ai lu à la bibliothèque. Je suis en train d'utiliser la technique de combat au couteau de la mafia sicilienne.

Tout en maintenant plusieurs mètres de distance entre nous deux, Misaki agitait le cutter comme pour me menacer.

― Ça ne te dégoûte pas ? Le fait que tu te sois donné un mal de chien pour venir sauver une tarée. Je n'y peux rien par contre, Satô. Je suis sûre que tu pensais à quelque chose dans ce genre, pas vrai ? Du genre, tu voulais te la jouer cool en sauvant une dégénérée qui tentait de se suicider. C'est à ça que tu pensais, hein ? Mais c'est impossible. Tu m'entends, impossible !

Avec la lune derrière elle, il était difficile de la voir, alors j'ignorais quel visage elle affichait. Tout ça avait l'air d'une vaste blague, mais ce n'était pas le cas. Je pouvais le sentir. Je lui demandai sérieusement :

― Si je te disais que je suis fou amoureux de toi, qu'est-ce que tu ferais ?

― Je ne ferais rien. Je suis foutue. Je veux dire, t'es juste un hikikomori pour commencer, Satô. Et tu sembles être du genre à changer d'avis facilement. En plus, tu ne m'aimes pas en fait, pas vrai ? Si personne ici-bas ne veut m'appartenir de la tête aux pieds, alors je ferais mieux de mourir. C'est pas comme si mes souhaits pouvaient être exaucés par n'importe qui. Je l'ai toujours su. Et c'est pour ça que, quoi qu'il arrive, il faut que je meure.

― Je t'aime ! Du fond du cœur ! Je t'en supplie, ne meurs pas !

― Ha ha ha. Vraiment très drôle, Satô. Mais ça ne sert à rien. Je vais mourir !

Notre dialogue ressemblait beaucoup à ce qu'on pouvait retrouver dans un shôjo.

N'empêche que j'étais conscient que des mots comme « amour » et « haine » n'étaient sûrement pas si importants que ça. Le problème résidait sûrement ailleurs, dans un endroit plus profond, plus fondamental. Je me disais qu'il valait mieux le lui faire comprendre. Il me fallait le lui traduire par des mots, d'une façon ou d'une autre. Mais, les mots fuyaient à chaque fois. À la seconde où je les prononçais, ils perdaient tout leur sens.

Je ne comprenais plus rien. Que faire ? Qu'est-ce que je voulais faire ?

À quoi je pensais...? Ça m'était bien égal si elle mourrait. C'était ce que je pensais vraiment.

C'est du pareil au même à la fin. La seule différence vient du temps qu'il faudra attendre avant de passer l'arme à gauche. Même si je continuais vraiment à vivre, il n'y aurait que toujours plus de souffrances et plus de douleurs. Ça n'a pas de sens. La vie n'a pas de sens. Il vaut mieux mourir. C'était une conclusion d'une logique implacable que personne au monde ne pouvait remettre en cause.

Du moins, j'en étais incapable. En fait, j'étais persuadé d'être la personne la moins à même de pouvoir convaincre quelqu'un d'autre de ne pas se suicider.

― Non, c'est pas normal.

Je continuai à dire ces absurdités.

― Dis pas que tu vas mourir.

Tout ce que je disais sonnait creux.

Décidant alors de recourir à la force, j'avançai d'un pas en direction de Misaki, qui continuait à agiter son cutter. Elle recula d'un pas. Ignorant ses gestes violents, je fis un bond en avant et je l'atteins avec ma main droite. Juste avant que ma main ne touche le corps de Misaki, la lame du cutter transperça ma paume. Une seconde plus tard, du sang commença à couler. Il se répandit sur la neige.

Ça faisait mal, mais la douleur était merveilleuse.

Misaki fixa des yeux son cutter ensanglanté, d'un air envoûté. Je lui souris.

Misaki semblait être également sur le point de sourire.

Le vent souffla, et la poudreuse dansait tout en montant vers le ciel.





Finalement, j'avais compris. Je savais ce que je devais faire : j'allais maintenir cette fille en vie. J'allais la sauver.

Comment ? Est-ce qu'un hikikomori comme moi avait la force de faire des choses pour les autres ? Ce genre de choses n'était-il pas impossible ? Ne devrais-je pas connaître mes limites ? Alors ?

Mais là quelque part, il devait exister la solution miracle. J'y croyais dur comme fer. Il devait exister un moyen de régler tous les problèmes. Il devait exister un moyen d'exaucer les souhaits de Misaki et de donner vie à mes propres espoirs. Je connaissais sûrement déjà la réponse.

J'allais effacer sa douleur et lui donner la possibilité de continuer à vivre, heureuse et joyeuse. J'allais lui donner la volonté d'affronter le lendemain, lui donner la force de vivre. Le moyen ― je devais sûrement déjà le connaître d'une façon ou d'une autre.

Un jour, elle m'avait dit :

― Si un tel méchant Dieu existait vraiment, alors on pourrait continuer à vivre en bonne santé. Si on pouvait remettre toute la responsabilité de nos malheurs sur Dieu, alors on aurait l'esprit beaucoup plus tranquille, non ?

» Si je pouvais croire en Dieu, je pourrais être heureuse. Dieu est un méchant ; malgré tout, je sais que je pourrais être heureuse. Le problème... Le problème, c'est que je n'ai pas d'imagination, alors j'ai vraiment du mal à croire en Dieu. Franchement, Il ne pourrait pas créer un super miracle pour moi, comme Il le fait dans la Bible ?

Elle voulait croire en Dieu, mais Dieu était un méchant. Il était le principal responsable de tous les maux. Si elle pouvait croire en l'existence de quelqu'un d'aussi maléfique, Misaki a dit qu'elle pourrait continuer à vivre. Si un miracle se produisait sous ses yeux, cela prouverait l'existence de ce méchant. Elle avait dit ça, dans ce cas, elle serait en mesure de continuer à vivre. Je vais exaucer ton souhait !

La solution était d'une insondable et terrible difficulté à mettre en œuvre, et demandera très certainement un énorme sacrifice en échange. Cependant, tel était mon désir. Se sacrifier pour sauver l'héroïne serait l'acte le plus noble que je ne puisse jamais accomplir.

Ah, je voulais me la péter devant Yamazaki. Je suis en train de vivre un grand moment, je vais sacrifier ma vie de la plus belle des manières. Je me sens vraiment vivre. Je voulais me tenir haut et fier et me vanter devant lui.

Il était vrai, en y regardant de façon objective, que c'était vraiment une nuit tragique. Une fille agitant un cutter dans tous les sens et moi essayant de l'empêcher de se suicider. Tout ça était vraiment émouvant. Avec ça, les mots allaient pouvoir sortir sans aucun mal. Dans cette situation, je devrais pouvoir trouver des répliques plus persuasives.

Misaki tremblait. Je tremblais sûrement moi aussi. J'avais peur, alors j'essayai de rassembler mon courage.

Des souvenirs de mes vingt-deux années de vie défilèrent dans mon esprit. Je réalisai alors que j'étais venu au monde pour cet instant précis, où je ferais tout en mon pouvoir pour sauver cette fille. C'était sûrement la mission de ma vie. Sinon, ça n'avait aucun sens... aucun sens à ces années vécues jusqu'à aujourd'hui, aucun sens à vivre puis mourir. À cet instant-là, tout s'éclaira en moi. Je savais tout, et tout était lié.

J'allais aider Misaki, qui tremblait de peur. J'allais donner ma vie pour lui venir en aide. Ce genre de situation devait être ce dont j'ai toujours rêvé. Les drapeaux qui m'ont guidé jusqu'à cette fin s'étaient tous déployés[1]. Mes répliques, qui m'avaient mené jusqu'à cette fin, étaient tout ce qu'il restait à mettre en place pour que cette scène prenne vie. Ainsi, j'allais me lever et lui faire face. Misaki allait pouvoir trouver une raison de vivre. Ce serait un happy ending.

J'avais peur. Je vous en supplie, aidez-moi...

Malgré tout, je rassemblai mon courage et pris la tremblante Misaki dans mes bras.

― C'est pas de ta faute, Misaki.

Je la serrai de toutes mes forces et lui murmurai à l'oreille :

― C'est pas du tout de ta faute, Misaki. Rien de tout ça n'est ta faute.

Elle était svelte et légère. Tremblotante, elle s'accrocha à moi, et les ténèbres nous enveloppèrent tous les deux.

Le vent était fort cette nuit-là. La neige tombait lentement. Le calme était encore plus prononcé. Pourquoi était-on si tristes ? Pourquoi était-on si seuls ? Vous savez pas pourquoi ? Oh, je vois. C'est parce qu'on est sur le point de se séparer, sur le point de se dire adieu. C'est pour cette raison qu'on tremble. On est seuls, et on le sera pour toujours. Ça a toujours été comme ça, et c'est dans la logique des choses. Tout le monde est comme ça, alors ne te déteste pas. Ne te déteste pas. Il y a tout un tas d'autres choses que tu devrais haïr. Il faut que tu le saches.

― C'est vrai, il y a des gens méchants. Il y a des gens qui t'ont fait du mal, Misaki.

Tu n'es pas obligée de te sentir triste. Pas du tout obligée. Pourquoi devrais-tu être triste ? Si tu as toujours dû vivre dans la douleur, souffrant seule, ça ne serait pas logique. Ça serait même bizarre, non ? C'est n'importe quoi. C'est pour ça qu'il doit exister quelqu'un, quelque part, qui tire les ficelles. Un méchant qui te force à souffrir.

C'est pour ça...

C'est pour ça que les complots existent bel et bien dans ce monde.

Mais dans plus de quatre-vingt-dix-neuf pourcent des cas, ceux que l'on vous raconte et qui paraissent des plus plausibles ne sont en fait que de simples fantasmes, voire même des mensonges patentés. Prenons par exemple ces livres que l'on trouve dans le commerce ; qu'ils soient intitulés La grande conspiration juive pour ruiner le Japon ! ou encore Le super complot de la CIA qui cache un pacte secret avec les extra-terrestres !, ce ne sont juste que de simples fictions.

Malgré tout...

Malgré tout...

Un faible pourcentage de gens est effectivement tombé nez à nez avec de véritables conspirations. Il existe, en réalité, une personne qui a vu de ses propres yeux vu une conspiration qui opère, en ce moment même, dans le plus grand secret.

― Mais qui est cette personne ?, me direz-vous.

C'est moi.

Comment s'appelait l'ennemi ? Je le savais. Je le savais depuis un bon moment, le nom de cette organisation maléfique qui me torturait, ce Dieu infâme que Misaki avait sérieusement désiré. Son nom était...

N.H.K.

C'est vrai ! Je me souvenais de tout : le nom de mon ennemi, ma mission, la raison de mon existence, la raison pour laquelle j'avais continué à vivre jusqu'à aujourd'hui, et la raison pour laquelle j'avais passé toutes ces journées vides et insipides. Oui, la vie m'a été donnée dans le seul but de te sauver toi. C'est sûrement vrai. C'est la parfaite vérité, alors écoute-moi !

Serrant toujours Misaki contre moi pour qu'elle ne puisse pas s'enfuir, je lui expliquai tout en détails.

― Écoute, Misaki. Dans ce monde, il existe une organisation maléfique. Elle s'appelle la N.H.K. La N.H.K. est une gigantesque organisation qui s'étend sur toute la planète. C'est une société secrète du mal, et c'est elle qui est responsable de toutes nos souffrances. Tout est de la faute de la N.H.K. Donc, si quelque chose de mal t'arrive, c'est dû à la N.H.K. Tout est de la faute de la N.H.K. !

» Pour commencer, le nom N.H.K. en lui-même n'est que pure coïncidence. Son véritable nom n'a pas d'importance. Si tu n'aimes pas « N.H.K. », tu peux l'appeler comme tu veux. Si tu veux, tu peux l'appeler Satan. Ou même le Dieu maléfique. Ces noms désignent tous la même chose.

» C'est vrai. Les noms n'ont pas du tout d'importance. Ce sont juste des successions de sons. Un ennemi imaginaire te torture : voilà la véritable nature de la N.H.K. Par exemple, prends cette fille de mon club de littérature au lycée. Pour elle, la N.H.K. pourrait signifier la « Nihon Hiyowa Kyokai[2] », car sa propre faiblesse la malmène constamment. Elle était faible d'esprit.

Je t'en prie, arrête de te taillader les veines. Je t'en supplie, sois heureuse, peu importe comment.

Je continuai :

― Dans ton cas, Misaki, N.H.K. signifie « Nihon Hikan Kyokai[3] ». À cause des malheurs avec lesquels tu es née, tu vois tout de façon négative. « Je vous en prie, pardonnez-moi d'être en vie. Ne me détestez pas. » Tu es toujours pessimiste en disant ce genre de choses.

» Enfin, pour ce qui est de ma propre N.H.K....

» Bah, c'est vraiment à cause de la N.H.K. que je suis devenu un hikikomori, exactement comme c'est de sa faute si tu souffres, Misaki. C'est la vérité. J'ai appris ça grâce à une certaine technique. J'ai combattu la N.H.K. Je me bats contre elle depuis longtemps, mais ça ne sert plus à rien. J'ai fini par tomber sous son joug, et elle va bientôt m'éliminer. Mais Misaki, tu t'en sortiras. Tu dois vivre.

Misaki était clairement effrayée alors que je continuais à déblatérer mes absurdités.

Je la relâchai et fis un pas en arrière. Maintenant, j'allais lui montrer un miracle, un grand miracle, afin de lui prouver l'existence de la N.H.K. J'allais lui révéler ma véritable nature de soldat fort qui a combattu la N.H.K., et j'allais les vaincre pour elle.

En faisant ça, Misaki se mettrait probablement à croire à mon histoire. Elle allait continuer à vivre, le sourire aux lèvres. Elle allait sûrement arrêter de se détester, et sa personnalité négative n'allait plus être qu'un lointain souvenir.

C'était la réponse. J'allais lui donner l'amour immuable. Tu avais peur. Tu avais peur d'être détestée par les autres. Tu avais peur que les sentiments des autres changent. Mais tout ira bien. Mes sentiments ne changeront jamais. Je t'aime, et ce sentiment ne changera jamais.

Et pourquoi ça...?

― Ah ! Ça commence ! C'est une attaque psychique de la N.H.K. !

Je me roulai par terre dans la neige.

― Est-ce que j'ai l'air d'être fou ? Dans ce cas, ça aussi, c'est de la faute de la N.H.K. Je vais bientôt mourir ! La N.H.K. va me tuer ! Mais je vais lui rendre la pareille ! Tu vas voir !

Je me levai et courus, en me dirigeant droit vers le bord de la falaise.

Je commençai par courir lentement.

― Adieu, Misaki ! Mes jambes bougent toutes seules. Je vais me faire tuer par la N.H.K. Mais au moment de mourir, j'ai l'intention de contre-attaquer. Je la détruirai !

Ma vitesse augmenta petit à petit.

― C'est vrai ! Afin de vaincre la N.H.K., je dois me sacrifier pour pouvoir utiliser mon attaque spéciale. C'est pour ça que je dois y aller, mais je te protègerai !

J'avançai maintenant à ma vitesse maximale.

Il fallait que je coure dans le ciel nocturne de toutes mes forces. Le bord de la falaise approchait. Ah, je vais sauter. Je vais plonger. Je vais utiliser mon attaque spéciale.

Et à cause de ma misérable mort, Misaki sera obligée de croire en l'existence de l'organisation maléfique. Grâce à mon attaque spéciale, elle pourra voir la fin de cette organisation. Et cela la rendra sûrement heureuse.

Et en plus de tout ça, Misaki n'aura pas à se sentir coupable de quoi que ce soit.

C'était tout ce que je voulais. J'avais toujours eu l'intention de mourir.





Je voulais accomplir le but de ma vie et aussi sauver Misaki. On ne pouvait pas faire plus clairement d'une pierre deux coups. C'était moi qui avais prévu de mourir. J'avais toujours, toujours eu l'intention de me suicider.

Après tout, j'avais même essayé de mourir de faim. Mais cela s'était avéré impossible. Une personne avec aussi peu de volonté que moi ne pourrait jamais mener à bien un jeûne : ma limite était de quatre jours. Puis, j'avais travaillé pour gagner de quoi vivre. C'était la seule et unique fois de ma vie que j'avais travaillé aussi dur. J'avais toujours recherché le moyen de mettre fin à mes jours.

En gros, je suis bien plus taré que toi. Ça prouve qu'émotionnellement parlant, je suis pas normal. Bah oui, si c'était pas le cas, alors comment je pourrais faire un truc pareil ? Misaki, tout en me méprisant, accepte mon amour ou quoi que ça puisse être. Je vais bientôt mourir, mais Misaki, toi, tu dois continuer à vivre. Je vaincrai la N.H.K. et éradiquerai l'organisation maléfique. Je t'en supplie, il faut que tu y croies. Comme ça, tu pourras rester en vie. Misaki, tu peux continuer à vivre.

Admire mon attaque spéciale et grave ce moment au plus profond de ton esprit. Alors, est-ce que tu peux la voir ? Est-ce que tu peux voir la Bombe Révolutionnaire, qui brille de mille feux dans ma main droite ? C'est celle que Yamazaki s'est retenu d'utiliser, une bombe d'une importance cruciale qui détruit les méchants. Elle est très, très faible, bien trop faible pour détruire la N.H.K. Mais elle est suffisamment puissante pour en finir avec cette minuscule, pathétique et inutile créature ― autrement dit, moi. Et si je meurs, ma N.H.K. disparaîtra avec moi, parce qu'elle est Dieu. Elle est le monde entier. Et avec ma mort, mon monde se dispersera. Et la N.H.K. disparaîtra. C'est pour cette raison précise que je dois lancer mon attaque spéciale maintenant, avec la légendaire Bombe Révolutionnaire.

J'étais sur le point de mourir. J'allais bientôt sauter du haut de la falaise. Derrière moi, Misaki était en train de crier quelque chose, mais sa voix ne pouvait plus m'atteindre. Plus personne ne pouvait m'arrêter maintenant.

C'était génial ! Mon corps filait comme le vent. Ah, je me sentais bien. Je me sentais revigoré, à courir de toutes mes forces, au sommet d'une falaise, dans le noir.

Je ressentais également de la peur. Je ne voulais pas mourir.

Mais, je n'avais aussi aucune raison de vivre. Je ne voulais pas vivre.

Bientôt, j'allais mourir. Plus que quelques pas me séparaient du bord de la falaise. Dans quelques secondes, l'espace d'un battement de cœur, j'allais m'envoler dans l'immensité du ciel.

Et juste quelques secondes plus tard, en balançant mes bras aussi fort que possible et en élançant mes jambes le plus loin possible, j'allais plonger. Pour la première fois, j'allais pouvoir réellement m'échapper de mon studio de trente mètres carrés et voler de plus en plus haut dans le ciel. J'allais sauter et voler.

Ah, juste encore un peu. Je vais bientôt voler.

J'allais sauter dans la Mer du Japon, comme si je faisais un grand bond en avant. J'allais sauter...

Je suis en train de sauter...

J'ai sauté.

J'ai sauté !

Mes deux jambes avaient quitté le sol. Mon corps flottait dans les airs, et dans quelques instants, il allait commencer à tomber.

J'allais tomber et m'écraser dans la Mer du Japon.

La fin était vraiment proche ― exactement comme dans le jeu érotique qu'avait conçu Yamazaki, j'allais utiliser mon attaque spéciale contre la N.H.K. Pour protéger l'héroïne, j'allais me lancer corps et âme dans la bataille finale. J'avais désiré ce scénario, et j'étais sur le point de mourir exactement de la façon dont je l'avais voulu. C'était vraiment la meilleure des happy ends.

Bientôt, je serai sauvé...





Puis, ça arriva. Soudainement, quelque chose me vint à l'esprit et me tourmenta. La fin de ce jeu ― j'avais beau essayer, je n'arrivais pas à m'en souvenir. Est-ce que le héros du jeu terrassait l'organisation maléfique ? En fait, y avait-il même une fin ?

Quelqu'un avait dit « C'est impossible de gagner. »

Peut-être avais-je juste rêvé. J'avais peut-être déjà perdu connaissance à un moment ou un autre. Alors que je dansais à travers le néant, la sombre Mer du Japon et le ciel étoilé s'étiraient devant moi.

Puis, je les vis. Ils se moquaient de moi.

Mon corps allait bientôt commencer à tomber. J'allais mourir. Il le fallait.

Mais ils me dirent, « Souviens-toi. »

Sur cette falaise, où les accidents sont bien trop fréquents, les constructions afin de les prévenir avaient déjà été terminées. La Bombe Révolutionnaire disparut sans exploser.

Je criai :

― C'est comme ça que vous la jouez ?! Bande de poules mouillées !

Aucune réponse ne me parvint.


Notes

  1. Dans les jeux érotiques japonais, il faut passer par le bon « drapeau » (ou flag, ou scène-clé), pour obtenir une certaine fin.
  2. Association Japonaise des Faibles.
  3. Association Japonaise des Pessimistes.
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