Bienvenue à la N.H.K ! : Le Humbert Humbert du vingt-et-unième siècle - Partie Un

From Baka-Tsuki
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Partie Un[edit]

― Prends les lucioles, par exemple. Essaye d'imaginer leur beauté, l'éphémère beauté de leur vie, qui ne dure pas plus d'une semaine.

» Les femelles lucioles brillent dans l'unique but de s'accoupler avec les mâles ; et les mâles ne scintillent que pour s'accoupler avec les femelles. Et une fois l'accouplement terminé, ils meurent. En bref, l'instinct de reproduction est la seule et unique raison de vivre des lucioles. Dans ce monde élémentaire et avec cet unique instinct, il n'y a pas de place pour la tristesse. C'est précisément pour cette raison que les lucioles sont si belles. Ah ! Rien ne vaut les lucioles !

» Maintenant, considérons l'espèce humaine. On se retrouve alors face à une société d'une complexité extrême.

» Je crois que Freud avait déclaré quelque chose du genre « Les humains sont des créatures à l'instinct détraqué. » À chaque fois que j'ai affaire dans ma vie à la frustration, à la rage, ou à la tristesse, je ne peux m'empêcher de repenser à cette phrase.

» Des concepts contemporains tels que « l'amour » ou « le romantisme » ont forgé l'homme, cette créature à l'instinct détraqué, masquant sa nature originelle. Bien sûr, tout ça n'est que mensonge. Pour occulter la supercherie, l'humanité doit créer toujours plus de nouveaux concepts. C'est pour ça que le monde devient plus complexe tous les jours.

» Cependant, cette complexité ne saurait cacher les différentes contradictions nées de notre instinct détraqué. Irrémédiablement, ces contradictions donnent naissance à des antinomies fondamentales : mots et instinct, idées et le moi physique, raison et désir sexuel. Ces concepts opposés sont comme deux serpents qui se mordraient la queue l'un de l'autre. Les deux serpents se retrouvent constamment piégés dans leur lutte féroce pour la supériorité, alors ils tournoient encore et encore, nous causant ainsi toujours plus de douleurs.

» Tu comprends ? Est-ce que tu vois où je veux en venir ? Quoi ? Tu n'as rien compris du tout ? Bah, c'est pas grave.

» Ce que j'essaye de dire-

Je jetai mon oreiller sur Yamazaki.

― La ferme ! Va mourir !

Yamazaki, assis sur le kotatsu, se pencha vers l'arrière pour éviter l'oreiller et continua tranquillement son exposé.

― À cause de notre instinct détraqué, nous souffrons. Nous persévérons dans cette voie car notre instinct a été corrompu par la raison. Dans ce cas, que sommes-nous censés faire ? Devrions-nous abandonner le savoir ? Nous débarrasser de la raison ? Quoi qu'il arrive, cela nous est impossible. Pour le meilleur et pour le pire, nous avons mangé le fruit du savoir il y a bien, bien longtemps. C'était écrit dans la brochure religieuse « Éveillez-vous ! » que la bonne femme m'a donnée tout à l'heure.

― Quoi ?! Mais qu'est-ce qui t'a pris de me réveiller à deux heures du matin pour me sortir cet obscur charabia tout en te soûlant, et par-dessus tout, dans ma chambre ?

― Notre raison et notre instinct s'opposent mutuellement, mais nous ne pouvons nous débarrasser d'aucun des deux. Sachant cela, quelle est notre raison d'être ? Arriver à un consensus judicieux et commencer à essayer de flirter avec des filles ? Se marier et avoir des enfants ? C'est, en fin de compte, la voie conformiste. Cependant, j'ai découvert... que les femmes... ces choses ne sont pas humaines. Au contraire, elles sont, en fait, sûrement plus proches des monstres. J'ai réalisé la cruelle vérité il y a de cela un an environ. Alors que je travaillais dans une supérette pour payer mes frais de scolarité, toutes sortes de choses sont arrivées. Ce sont vraiment des souvenirs très durs, et je n'ai plus envie de me les remémorer.

Après avoir dit tout ça d'une traite, Yamazaki prit une seconde canette de bière dans mon frigo.

Avant que je ne puisse l'en empêcher, il l'ouvrit et la siffla en une gorgée.

Soudain, il cria :

― Les femmes, c'est de la merde ! Qu'elles aillent se faire voir !

Le visage de Yamazaki était rouge pourpre. Il semblait déjà complètement soûl. De toute façon, il tenait très mal l'alcool malgré qu'il en boive tout le temps. Je m'étais demandé à une époque s'il n'était peut-être pas un alcoolique en puissance ; puis, quelque temps après, il m'avait expliqué, « Ma famille à Hokkaïdo tient une fabrique de vin. J'en bois depuis le collège. T'en fais pas pour moi ― je vais parfaitement bien ! »

J'avais du mal à déterminer quelle partie de son corps allait bien. Une fois soûl, il était impossible d'arrêter les longues tirades de Yamazaki jusqu'à ce qu'il s'essouffle, et ce, même en lui criant dessus ou en l'ignorant. Je l'avais appris à mes dépens.

Je n'avais aucune idée de comment m'y prendre avec lui.

Puis, il sembla se dégonfler ; ses épaules retombèrent tout comme sa voix.

― Les femmes, c'est de la merde. Mais, il y a toujours des fois où j'ai envie de flirter avec. Je suis un humain, après tout, alors j'y peux rien... De toute façon, j'ai connu une autre terrible expérience. C'était avec la plus jolie fille de ma classe. Elle s'appelait Nanako. À mon école, où toutes les filles otaku du pays affluent, elle était la seule à avoir un visage plutôt bien. Et pas la peine que je te précise que je suis moi-même pas mal. Mon corps délicat et mon charme ont fait que les filles m'embêtaient en primaire ― mais maintenant par contre, je me suis rendu compte que mon apparence devait être un avantage.

» J'ai dit à Nanako « Sortons ensemble ! » Elle a répondu, « Désolée, Yamazaki, mais t'es un peu, tu sais... En plus de ça, je sors avec Kazuo. »

» Comment ça « tu sais » ? Je suis « un peu » quoi ? Et par Kazuo, tu veux parler de ce gros lard ? Je... Je me suis donné la peine de te déclarer ma flamme poliment, et c'est tout ce que tu trouves à dire ?!

Yamazaki agita ses deux bras dans tous les sens, en criant :

― Remets les pieds sur Terre, salope ! Ce que je veux dire, c'est que tu pourrais au moins me laisser tirer un coup avec toi ! Allez, fais pas ta mijaurée quoi !

Je ressentis un intense frisson de peur me parcourir. Il semblait que j'étais tombé sur une autre de ses facettes cachées. Comme s'il avait remarqué mon visage horrifié, Yamazaki se dépêcha d'arborer un faux sourire.

― Ha ! Ha ha ha ! Non, non, je plaisantais. C'était juste une blague ! Comment un mec comme moi aurait pu dire à une fille qu'il l'aime ? Les femmes de la vraie vie sont toutes des merdes, de toute façon. Depuis le collège où j'ai failli être violé par des amies de ma grande sœur, j'ai tiré un trait sur elles.

C'était une déclaration encore plus choquante que la précédente. Tout en tâchant d'apparaître calme, je continuais de fumer ma clope. Pendant ce temps, le volume de la voix de Yamazaki allait crescendo.

― Ou pas ! J'ai menti. Tout ce que je viens de te raconter, c'était du flan. Ha ha ha, je suis un peu bourré, hein ? Hein ? Qu'est-ce qui t'arrive, Satô ? Me regarde pas comme ça. C'est quoi cette expression qui mêle pitié, moquerie et peur ? Me... Me regarde pas. Me regarde pas comme ça !

Je n'avais pas du tout la moindre idée de ce que je devais faire.





Je crois qu'en gros, Yamazaki essayait de dire que les femmes rendaient fous les hommes.

― Les vraies femmes ne tournent pas rond. Être humain, ça signifie avoir cet instinct de faire l'amour avec des femmes. Notre raison rejette naturellement les femmes, mais notre instinct, quant à lui, n'aspire à rien d'autre que faire l'amour avec des femmes. Et donc, on a un problème.

Il semblerait que c'était la voie vers laquelle la discussion s'orientait.

Pourquoi tu me racontes tout ça ?! avais-je envie de lui crier. Néanmoins, comme un adulte le ferait, je pris sur moi.

En y repensant, il n'avait vraiment pas de bol, le pauvre. À cause de la nature pervertie de notre société moderne, son état mental était en plus devenu complètement détraqué.

Pauvre vieux.

― Non, je veux pas de ta pitié !

― Du calme. Hé, j'ai une idée ! Pourquoi ne pas aller dans un bordel ? Et comme ça, peut-être que ta confusion disparaîtra.

― Je viens pourtant de te l'expliquer, non ? J'en ai rien à cirer des vraies femmes !

― Tu parles de vraies femmes, mais t'en vois d'autres types, toi ?

À l'instant même où je lui demandai ça, il se tourna vers moi et sembla être sur le point de fondre en larmes. Puis, son visage arbora une expression de fierté.

Tout en souriant malicieusement, il dit :

― Elles sont toutes proches, pourtant ! Et tu ne l'as pas encore remarqué ? Satô, cette semaine, tu as dû toi aussi succomber à leur charme.

J'étais sans voix.

― Tu vois maintenant où je veux en venir, pas vrai, Satô ?

Je clignai des yeux.

― Qu'elles sont adorables, continua-t-il, ces filles qui vivent dans le monde en deux dimensions. Qu'elles sont merveilleuses, ces filles qui sont à l'intérieur de mon écran d'ordinateur.

Bon, étant donné son dialogue à rallonge, je me devais d'au moins lui concéder ce point.

― Ouais, d'accord, Yamazaki, les jeux érotiques sont une incroyable culture.

― Tant que tu comprends, c'est tout ce qui m'importe. Les eroges sont l'unique phare qui guide la raison humaine dans sa victoire sur l'instinct. Alors tant que nous les aurons, les vraies femmes ne nous seront plus d'aucune utilité. Les jeux érotiques représentent notre espoir. Alors, Satô, tu as fini le pitch pour le jeu ?

― P-pas encore... D'ailleurs, tu trouves pas que les jeux que tu m'as prêtés sont un peu tendancieux ?

― Comment ça ?

― Bah, tu sais... Les personnages dans ces jeux sont un peu trop jeunes ; genre, toutes les héroïnes ont toutes l'apparence de gamines de primaire...

― Ha ! Mais qu'est-ce que tu me baragouines là, Satô ? C'est pas ton genre. Pour commencer, les héroïnes d'eroges ne sont rien de plus que des personnages fictifs, dessinées en deux dimensions par ordinateur. Afin de représenter au mieux l'innocence, la pureté et la féminité, rien n'est plus approprié qu'une petite fille, non ? On se sent plus détendus avec le symbole de la petite fille. Et comme ce sont des personnages en 2D, elles n'ont aucune chance de causer des dommages à notre fragile état psychologique. Et cerise sur le gâteau, le thème devient celui du plus faible personnage possible socialement, physiquement et émotionnellement ― la petite fille. Grâce à cette sécurité à deux niveaux, nous n'avons plus à craindre de nous sentir blessés, et nous pouvons échapper à la peur de nous prendre un râteau. Pour ainsi dire, telle est l'essence du moe : idéale, jeune, féminité innocente. Tu comprends ? Tu comprends, hein ?

Je méditai sur ses paroles... Non, je n'y comprends rien !

J'étais sur le point de crier, mais Yamazaki avait déjà disparu de ma chambre.

Sur mon kotatsu, il avait laissé un cadeau : un CD.

Note pour le titre du chapitre

Référence au livre Lolita de l’auteur russe naturalisé américain Vladimir Nabokov. Humbert Humbert est le nom d’emprunt du héros de l’histoire, un professeur se définissant comme un nympholepte. Le récit relate sa relation amoureuse avec Dolores Haze, une nymphette de douze ans et demi quand il la rencontre, qui terminera tragiquemenent.

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