Bienvenue à la N.H.K ! : De tendres souvenirs, suivis d'un serment - Partie Un

From Baka-Tsuki
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Partie Un[edit]

La Golden Week[1] était arrivée, et je m'étais dit que la saison des pluies s'était terminée en un éclair[2]. Les jours passaient encore et encore à une vitesse phénoménale.

Mais, au cours du mois, il s'était passé toutes sortes de choses.

Par exemple, il y a peu, un soir, je rencontrai par hasard Misaki à la supérette. Elle me tendit une feuille de papier. C'était un contrat. « Contrat » était écrit sur la feuille au stylo bille noir.

Une semaine auparavant, j'avais prévu de revoir la fille que j'avais connue dans mon club de littérature au lycée. On était allés dans un café à Shibuya et on avait discuté. J'étais un poil nerveux, mais il ne s'était rien passé d'important.

En plus de ça, mon père s'était fait virer lors d'une « restructuration ». Je devais donc dire adieu à mon argent de poche dès le mois suivant.

Comme moi, mon voisin d'à côté, Yamazaki, semblait également rencontrer divers problèmes inattendus ces derniers temps.

― Mon père, qui travaille dans le secteur agricole, a été hospitalisé suite à des soucis de foie, m'a-t-il expliqué. Je suis l'aîné. Est-ce que je devrais reprendre l'affaire familiale ?

En réalité, il semblait qu'il n'avait pas le choix. Je m'étais dit que la meilleure solution était de rentrer immédiatement pour s'occuper de son exploitation laitière et de son vignoble. Apparemment, il avait de gros problèmes avec ses parents.

― Ils ont de l'argent, mais ils refusent de financer mon éducation. Ils m'avaient inscrit dans une école agricole sans me demander mon avis. Et donc, j'ai bossé pendant un an dans une supérette en tant qu'agent de sécurité pour avoir de quoi payer les frais de scolarité pour l'Institut Yoyogi Animation. Venir me voir avec ça maintenant, ils sont pas sérieux !

J'avais du mal à comprendre la colère de Yamazaki, mais ça lui permettait de penser à autre chose qu'à ses problèmes. Il se comportait comme s'il n'allait rien faire, même si le monde s'écroulait autour de lui. J'avais décidé de suivre son exemple en me contentant pour le moment de fuir la réalité.

En parlant de ça, il y avait toujours cette histoire de jeu érotique qu'on avait prévu. On essayait de continuer, même maintenant, alors que notre projet ne présentait désormais presque plus aucun intérêt.

Sans mentir, je ferais mieux de m'échapper de ma vie de hikikomori le plus vite possible et de me concentrer à essayer de trouver un boulot digne de ce nom ; mais pour une raison ou une autre, je souris et dis à Yamazaki :

― Ça serait bien si tu me fichais la paix avec cette histoire de petites filles, ok ?

― Pas de problème. On peut travailler avec tes goûts, Satô. Je croyais sincèrement qu'on se ferait arrêter par la police lors de notre séance photo à l'école primaire de l'autre jour.

Je m'en tape complètement de ça ; il faut que je trouve un boulot tout de suite ou c'en est fini de moi ! Je voulais crier, mais une fois encore, je souris et j'acceptai.

― J'écrirai le scénario aujourd'hui.

― Je compte sur toi. La qualité du jeu repose entièrement sur ton scénario, Satô.

― Je sais. Je vais faire de mon mieux. Je vais mettre toute mon énergie dans ce jeu érotique !

Ouais, c'est le summum. Bravo ! Ou plutôt, quelle tragédie !





Rien ne vaut concevoir un jeu érotique pour fuir la réalité. Après tout, le genre en lui-même est une invitation à une fuite sans fin de la réalité.

Yamazaki, assis devant ses deux immenses unités centrales, commença un nouveau speech.

― C'est vrai. La fuite de la réalité est l'essence même d'un jeu érotique. En tant que créateurs, on se doit d'offrir au joueur une fuite de la réalité amusante. Le monde réel est plein de choses désagréables : les filles qui prennent les mecs comme nous pour des cons, les filles qui se paient la tête de mecs comme nous, cette salope qui m'a trompé avec le patron de la supérette, cette sale garce à l'Institut qui a joué avec mon adolescence... Toutes ces choses pénibles font de ce monde un endroit difficile à vivre.

La deuxième moitié de son speech décrivait de façon assez explicite des expériences qui lui étaient personnelles, mais je le laissai continuer. Après s'être arrêté pour siroter son thé oolong, Yamazaki éleva encore plus la voix, débitant :

― En gros, les vraies femmes ne servent à rien. Elles sont incroyablement plus proches des monstres. Et donc...

― Et donc ?

― Donc, en tant que créateurs de jeux érotiques, on se doit de créer des personnages féminins parfaitement appropriés, du genre qui n'existe pas en vrai.

Des personnages féminins appropriés...

― Par là, j'entends des personnages qui commencent à aimer le héros sans aucune raison valable, des personnages qui sont proches du héros par pure bonne volonté, ce genre de personnages, expliqua Yamazaki. Des personnages sans aucune arrière-pensée, qui ne trahiraient ô grand jamais le héros. Le genre de personnages qui n'existe tout bonnement pas dans la réalité.

― Mais en créant des personnages si éloignés de la réalité, cela ne risque pas de compromettre le réalisme global du jeu ?

― On s'en fiche de ça. Les joueurs ne cherchent pas le réalisme dans les jeux érotiques. Même si on venait à bêtement introduire du réalisme, les joueurs finiraient tôt ou tard par s'en lasser. Si quelqu'un veut tomber amoureux d'un personnage réaliste, il n'a qu'à aller parler à une vraie femme au lieu de jouer à des jeux érotiques.

― Pas faux.

― Il existe tout de même quelques astuces que tu devrais utiliser pour la création de tes personnages, prévint-il.

― C'est-à-dire ?

― Eh bien, si tu te contentes de créer un personnage féminin classique en lui collant l'étiquette « d'héroïne idéale » sur la peau, ça ne convaincra personne. Il faut utiliser des stratégies en termes de pitch et de chara-design pour renforcer l'idée que ton « héroïne idéale » ne l'est pas que sur le papier.

» Par exemple, une technique consiste à faire d'elle une amie d'enfance. En faisant de l'amie d'enfance du héros l'héroïne, tu peux développer un lien crédible entre les deux protagonistes, car ils sont proches depuis l'enfance. À partir de là, tu obtiens un argument convaincant faisant d'elle une héroïne parfaitement appropriée, bref, une héroïne idéale.

» La seconde technique consiste à faire d'elle une bonne. En faisant ça, de par la nature de son travail, une relation maître-servante se crée. Une fois encore, tu obtiens un argument persuasif pour une héroïne idéale.

» Enfin, la troisième technique consiste à faire d'elle un robot. La raison est simple, les robots ne peuvent pas s'opposer aux humains, le bon sens veut qu'ils ne peuvent pas avoir d'arrière-pensées ni même trahir leur propriétaire, créant un argument incontestable pour en faire une héroïne idé-

― Q-Qu'est-ce que tu entends par robot...? l'interrompai-je.

― Un robot normal. Tu fais d'un robot l'héroïne de ton jeu érotique.

C'était une conversation complètement surréaliste, mais le visage de Yamazaki indiquait qu'il trouvait tout ça parfaitement naturel.

― En gros, le but principal pendant la création de personnages dans un jeu érotique est de trouver une raison crédible pour laquelle l'héroïne ne peut défier le personnage principal. On fait ça au moment de définir les bases de l'histoire. Elle doit obéir au moindre ordre du héros, elle doit écouter, et elle doit aimer de façon inconditionnelle le héros. Les techniques que je t'ai données peuvent t'aider à réunir ces conditions du mieux possible.

Je me disais qu'il valait mieux ne pas trop y réfléchir.

Dans un profond désespoir, je demandai :

― Dans ce cas, qu'est-ce que tu dis d'une camarade de classe qui serait à la fois amie d'enfance et un robot domestique ?

― C'est une superbe idée, ça ! répondit Yamazaki en ayant l'air sincère.

― Ben, et si en plus de ça, elle était la petite amie du héros dans une vie antérieure ?

― C-C'est génial !

― Et pour couronner le tout, elle est maladive, aveugle et muette. La seule personne sur laquelle elle peut compter, c'est le héros. Qu'est-ce que t'en penses ?

― C'est absolument parfait !

― Enfin, elle souffre d'Alzheimer.

― Bon choix !

― Sans compter qu'elle est schizo.

― Parfait !

― En fait, c'est une extraterrestre.

― Génial !

Cette discussion continua pendant plusieurs heures ; finalement, on avait décidé des grandes lignes de la personnalité de l'héroïne du jeu érotique dont j'écrivais le scénario.

― L'héroïne est donc l'amie d'enfance du héros, ainsi qu'un robot domestique. Elle est aveugle, sourde, muette et maladive ; en plus de ça, c'est une extraterrestre souffrant d'Alzheimer et de schizophrénie. Mais en réalité, c'est un fantôme qui a eu un lien avec le héros dans une vie antérieure. Et sa véritable forme est celle de l'esprit d'un renard.

― Waouh, incroyable ! C'est parfait ! C'est moe moe !

― Hm...

― Qu'est-ce qui t'arrive, Satô ? Tu peux commencer à écrire le scénario là.

― Hm... Hm...

― Hein ?

― Comment je pourrais écrire un scénario avec tout ça dedans ? Je vais faire ça à ma sauce !

Je donnai un coup de pied à Yamazaki et rentrai dans mon propre appartement.

Il était déjà deux heures du matin.

Mais qu'est-ce qui nous est arrivé ? J'essayai de m'en inquiéter, mais au final, on était juste deux bons à rien de hikikomoris, après tout. Je décidai de continuer à fuir la réalité.

Exactement ! En parlant de fuir la réalité, la meilleure chose était de créer un jeu érotique.

C'est pour ça que je vais me mettre à écrire le scénario sur le champ !


Notes

  1. Semaine fériée au Japon, entre le 29 avril et le 5 mai.
  2. Au Japon, la saison des pluies s’étale généralement entre juin et juillet.
Le Humbert Humbert du vingt-et-unième siècle - Partie Trois Page Principale De tendres souvenirs, suivis d'un serment : Partie Deux