Hyôka:Tome 1 Chapitre 7

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search

7 - La Vérité de l'Historique Club de Littérature Classique[edit]

Status: Incomplete

En cours (~60%)

Le soir, après un débat interminable, je pédalai tranquillement au milieu des champs inondés par l’orange du crépuscule, m’efforçant d’écouter la faible voix de Satoshi.

« Pour être honnête, je suis plutôt surpris, Hōtarō. Effectivement, je suis surpris par ce que tu as dit tout à l’heure. Si tu as raison, alors notre Festival Kanya doit son existence aux dépends de la vie lycéenne de quelqu’un. Mais ce qui me surprend le plus, c’est que tu aies deviné tout cela. »

« Tu doutes de mes capacités ? »

J’avais répliqué en plaisantant, mais pour une fois Satoshi ne sourit pas quand il répondit : « Tu n’as résolu que des devinettes depuis ton entrée au lycée Kami. Pendant notre première rencontre avec Chitanda-san, ou l’affaire du livre populaire que personne ne lit, comme celle du président du Club du Journal du Mur. »

« Ce n’est arrivé que par hasard. »

« Pourtant les résultats montrent que ce n’est pas important. Mais le problème est : Pourquoi quelqu’un comme toi, qui trouve pénible de résoudre des énigmes, finit par les résoudre ? La réponse est simple quand on y pense. Tu le fais pour Chitanda-san. »

Je tournai la tête, et me demandai si c’était le cas.

“Le faire pour Chitanda” n’était pas vraiment exact ; je pense que je l’accepterais mieux comme “C’est la faute de Chitanda”. Je me souviens de Satoshi dire quelque chose d’aussi pertinent auparavant, que je ne passerais à l’action que si on me le demande. Bien qu’elle ne me l’a pas demandé directement, j’ai fini par faire quelque chose de pénible pour elle, mais…

« Aujourd’hui était différent. »

Oui, aujourd’hui était différent.

« Tu peux être doué pour attirer l’attention sur toi, tu sais ? Aujourd’hui, la résolution de l’énigme devait être partagée équitablement parmi nous quatre. Tu aurais pu choisir de t’enfuir en disant que tu n’y comprenais rien, et personne n’aurait dit quoi que ce soit. Alors pourquoi as-tu cherché la réponse par toi-même en prétextant aller aux toilettes ? »

Le soleil continuait de se coucher, et je pouvais sentir la brise du vent. Je détournai mes yeux de Satoshi et regardai devant moi.

« Ce n’était pas parce que tu le faisais pour Chitanda-san ? »

La question de Satoshi était plutôt légitime. En temps normal, je ne me serais pas donné la peine de résoudre ce casse-tête. Je suppose que j’ai été extrêmement actif aujourd’hui.

Oui… ça doit être cela.

Pourquoi ai-je agi comme je l’ai fait ? Je crois en comprendre plus ou moins la raison, et cela n’a pratiquement rien à voir avec Chitanda. Pourtant, comprendre quelque chose moi-même était différent de le faire comprendre à quelqu’un d’autre. Sans affiner mes connaissances et mon vocabulaire, j’étais incapable de transmettre mes pensées aux autres, même pas à un télépathe comme Satoshi.

Ou plutôt, je pense que c’est parce que je connais Satoshi depuis si longtemps que lui expliquer devient difficile. Puisque mes actions et mes motivations aujourd’hui étaient loin de mon modus operandi habituel.

Toutefois, je n’avais aucune obligation de me justifier. J’aurais pu lui dire que cela ne le concernait pas. Pourtant j’eus envie de lui répondre, comme d’organiser mes pensées pour mon propre bien. Alors après un long silence, je lui répondis en prenant soin de bien choisir mes mots.

« … J’imagine que je suis juste fatigué d’avoir une vie grise. »

« ? »

« Depuis que j’ai rencontré Chitanda, mes niveaux d’efficacité énergétique son tombés au plus bas. Elle prépare une anthologie en tant que présidente du club, passe ses examens en tant qu’étudiante et recherche son passé en tant qu’être humain. C’est trop fatigant pour moi. Ibara et toi êtes pareils, à dépenser du temps à toutes sortes d’efforts inutiles. »

« Eh bien… je suppose. »

« Mais tu sais, parfois je pense que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la clôture. »

Je m’arrêtai de parler, en réalisant que j’aurais pu le formuler d’une meilleure manière. Toutefois, je ne pus penser à rien de mieux, alors je repris : « Quand je vous regarde, je n’arrive pas à me calmer. Je voudrais rester calme, mais je ne trouve rien d’intéressant à ça. »

« … »

« Alors au minimum, je voulais, comment dire, résoudre l’énigme. Je voulais goûter à votre mode de vie. »

Je me tus après cela. Entre le son des pédales et la brise, Satoshi ne dit rien. Satoshi était bavard d’habitude, mais il y avait des occasions où il pouvait ne rien dire, et j’en fus plutôt soucieux, puisque j’espérais une réponse. Je trouverais une excuse plus tard, je ne pouvais plus supporter ce silence.

« Alors, dis quelque chose. »

Je pouvais sentir Satoshi sourire même sans le voir quand il finit par parler.

« Je pense… »

« Hmm ? »

« Je pense que tu es en fait jaloux de ceux qui ont une vie rose. »

Je répondis sans réfléchir : « Peut-être. »



Je fixais le plafond de ma chambre, blanc comme d’habitude.

Je réfléchissais à ce qu’avait dit Satoshi plus tôt.

Même moi j’aimais entendre des choses agréables, ce qui incluait des blagues idiotes et de la musique populaire. Même si je me suis fait avoir par Chitanda, cela restait un bon moyen de tuer le temps.

Cependant, avec tout le respect que je dois aux comédies là-dehors, si je devenais obsédé par ces choses sans tenir compte de mon temps et de mon énergie… Aurait-ce été plus divertissant ? En aurait-ce valu le coup bien qu’au détriment de mon efficacité énergétique ?

Par exemple, Chitanda et la recherche de son passé.

Et plus important, comment le “héros” Jun Sekitani finit par protéger le Festival Kanya trente-trois ans plus tôt, d’après mon raisonnement.

Mon regard ne pouvait pas se concentrer sur un seul point. C’est ce que je pensais, à chaque fois que j’y réfléchis, je n’arrive pas à rester calme. Je tournai mes yeux du plafond vers le sol sur lequel j’étais allongé et vis la lettre que ma sœur m’avait envoyée posée là.

Mon regard fut attiré par une des phrases qui y étaient écrites.

Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun.

Dix ans plus tard, pour un pauvre humain comme moi, n’est qu’un futur flou après tout. J’aurai vingt-cinq ans. Et me regardant dix ans plus tôt, je me demande si je méditerai aux choses que j’ai faites et que j’aurais pues faire. Peut-être que Jun Sekitani, à vingt-cinq ans, regarda en arrière ses quinze ans avec certains regrets.

Je…

Soudainement le téléphone sonna.

Non, ce n’est pas comme si je n’avais jamais entendu un téléphone sonner auparavant. J’étais juste tellement absorbé dans mes pensées que cela parut soudain. Je laissai mes inquiétudes derrière moi quand mon esprit retourna à la réalité, me levai et descendis décrocher le téléphone.

« … Allô, ici Oreki. »

« Hein ? Hōtarō ? »

Je sentis mon échine frissonner de nervosité. C’était une voix familière, une voix qui pouvait mettre ma vie en l’air et m’impliquer dans toutes sortes de problèmes d’un autre niveau. C’était un appel de Tomoe Oreki, vagabondant quelque part en Asie Occidentale et se cachant au consulat du Japon de la traque d’agents du Mossad. Étant un appel international, il était difficilement audible, mais il s’agissait d’elle à coup sûr.

Inévitablement, je donnai ma réaction sincère au fait d’entendre la voix que je n’avais pas entendue depuis si longtemps.

« Alors t’es encore vivante ? »

« Quel malpoli, tu penses que je me ferais tuer par un ou deux bandits ? »

Alors ça lui est vraiment arrivé ? Je ne peux pas dire que je sois surpris.

Pensant probablement au coût de l’appel, ma sœur enchaîna rapidement.

« Je suis arrivée à Pristina hier. C’est en Yougoslavie[1], au passage. Les finances et la santé sont en bon état et mes projets se déroulent comme prévu. Je t’écrirai en arrivant à Sarajevo. Si je voyage tranquillement, j’y serai dans deux semaines. Fin du rapport. Alors, comment ça se passe là-bas ? »

Ma sœur semblait aussi heureuse qu’à son habitude. Bien qu’elle soit émotionnellement instable en ce qu’elle peut être vraiment furieuse, ou pleurer comme s’il n’y avait pas de lendemain, ou être extrêmement joyeuse, elle est habituellement juste heureuse.

Je donnai une chiquenaude au cordon du téléphone et répondit : « Rien d’inhabituel au Commandement de l’Extrême Orient. »

« Je vois, alors… »

Ma sœur était sur le point de raccrocher. Cela ne m’aurait pas dérangé, mais j’ajoutai :

« On publie une anthologie, “Hyōka”… »

« … Hein ? Quoi ? »

« On a fait des recherches sur Jun Sekitani. »

Ma sœur parla rapidement : « Jun Sekitani ? Quel nom nostalgique. Hmm, je ne pensais pas que cette histoire serait encore transmise. Est-ce que le nom “Festival Kanya” est encore tabou ? »

Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par là.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« C’est une tragédie. Je n’aime pas ça. »

Tabou ? Tragédie ? N’aime pas ça ?

De quoi elle parle ? Qu’est-ce qu’elle veut dire ?

« Attends un peu, on parle de Jun Sekitani, non ? »

« Bien sûr. Le “gentil héros”. Tu saisis, n’est-ce pas ? »

Cette conversation était vaine. Bien que nous parlions du même sujet, nous ne pouvions nous entendre.

Quant au pourquoi, je réalisai instinctivement que j’avais pu me tromper. Peut-être que la conclusion à laquelle j’étais arrivé à la résidence Chitanda était erronée ou imprécise. Pourtant je n’étais pas inquiet, puisque ma sœur saurait ce qui était arrivé au lycée Kamiyama trente-trois ans plus tôt.

« Frangine, qu’est-ce que tu sais sur Jun Sekitani ? »

J’avais décidé de lui demander sérieusement.

Tout ce que je reçus fut une simple réponse.

« J’ai pas le temps pour ça ! À plus ! »

Clic. Bip, bip.

J’éloignais le combiné de mon oreille et le regardai comme un idiot.

« … »

… Pourquoi…

« Idiote de frangine ! »

J’écrasai le combiné sur le téléphone, le faisant trembler avec un bruit fort. Mon irritation était à présent doublée, grâce à ma sœur.



Je ne me souvenais plus exactement de ce que ma sœur avait dit, puisque la conversation s’était déroulée si rapidement que je n’avais pu confirmer quoi que ce soit. Néanmoins, la partie où elle avait répondu négativement à propos de l’incident était fraîche dans mon esprit.

Je retournai à mon lit et sortis de mon sac tout ce que le Club de Littérature avait rassemblé concernant l’incident. “Hyōka”, “Unité et Salutations”, le “Mensuel de Kamiyama” et le “Lycée Kamiyama : 50 ans de marche commune”… Je plaçai également à côté de ceux-ci la lettre que ma sœur avait envoyée d’Istanbul, en relisant cette phrase qui avait retenu mon attention.

Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun.

Dans dix ans, hein ? Si Jun Sekitani est encore en vie, puisqu’il était président il y a trente-trois ans, il devrait en avoir cinquante maintenant. Regarderait-il encore sa vie de lycéen sans regrets ?

Je pense que non. Le “héros” qui se sacrifia pour la passion de ses camarades et abandonna son choix de continuer le lycée ne regretterait pas cette décision. Depuis ma déduction à la résidence Chitanda, c’est ce que je pensais.

Mais était-ce vraiment le cas ?

Ce n’était qu’un festival culturel, pourtant ce festival tourna l’école contre lui et changea sa vie. Si la vie au lycée est rose, une vie si intensément rose peut-elle être interrompue et encore appelée rose ?

La partie grise au fond de moi me dit que ce n’était pas le cas. Se sacrifier pour que ses camarades soient pardonnés, un héros l’endurerait-il ? Cette pensée émergea dans mon esprit. Même si j’y résistais, je ne pouvais ignorer le fait que ma sœur avait qualifié l’incident de tragédie.

Je devais revoir cela une fois de plus. Je repris tous les articles qui mentionnaient l’incident.

Et ainsi, je commençai à chercher si la vie de Jun Sekitani était réellement rose il y a trente-trois ans.



Le jour suivant, j’allai au lycée en tenue décontractée. Pour confirmer quelque chose, j’avais aussi appelé Chitanda, Ibara et Satoshi. Je leur avais simplement dit : « Il y a quelque chose que je dois ajouter à ma conclusion d’hier pour que cette histoire soit complètement terminée. J’attendrai dans la salle de géologie. »

Et ainsi vinrent-ils tous les trois. Ibara traita inévitablement le fait que je soulève un problème supposément résolu avec sarcasme, et bien que Satoshi sourît, on pouvait observer un regard plein de surprise face à mon comportement inhabituel. Quant à Chitanda, elle dit en me voyant :

« Oreki-san, j’ai le sentiment qu’il y a encore quelque chose que je dois savoir. »

Je ressentais la même chose. En acquiesçant, je posai ma main sur son épaule.

« C’est bon. Je pense qu’on devrait pouvoir régler ça aujourd’hui. Tiens juste un peu plus longtemps. »

« Qu’est-ce que tu veux dire par “ajouter à ta conclusion d’hier”, Oreki ? »

« Je veux dire faire le dernier pas pour compléter quelque chose d’encore incomplet. »

« Je ne comprends pas, tu veux dire qu’on a pris le problème de travers ou qu’on est arrivé à la mauvaise conclusion ? »

« Écoute, juste. »

Alors que je pris mes notes, j’y jetai un œil moi-même plutôt que de les montrer aux autres.

« … “Hyōka” était censé être écrit comme quelque chose de plus important. Pas pour rapporter la vie de Jun Sekitani ou en faire un conte héroïque, c’est ce que dit la préface de toute façon. »

C’était la partie traitée par Satoshi la veille. Sans surprise, il prit la parole :

« Ce n’est pas de ça qu’on a discuté hier ? »

« Oui, mais on a peut-être été induit en erreur. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Ce passage, “Tel le sacrifice du conflit qu'il fut, même son sourire finirait par suivre le cours du temps vers l'éternité”. Le terme sacrifice ne désigne pas un abandon volontaire, mais plutôt une offrande. »

Ibara leva un sourcil.

« Mais ils n’auraient pas utilisé “victime” plutôt que “sacrifice” dans ce cas ? »

“Victime”, hein ? Mais je n’eus pas à expliquer, puisque Chitanda le fis pour moi.

« Non, un “sacrifice” peut aussi être forcé. C’est ce que ça voulait dire dans le passé. »

Comme on pouvait s’y attendre d’une élève modèle, c’était rapide. Et j’étais sur le point de prendre un dictionnaire.

Satoshi commenta avec un soupir : « … Je vois ce que tu veux dire à propos d’un autre sens de ce mot, mais est-ce que ce n’est pas évident ? En plus, aucun moyen de savoir quel sens est le bon sans demander à l’auteur. »

Bien sûr, la différence de sens n’était pas un problème purement linguistique. Puisque le langage n’est jamais aussi précis que les mathématiques, il est normal que les mots puissent avoir plus d’un sens. Alors il est impossible de conclure définitivement sur le sens d’un mot.

Il y avait cependant un moyen de résoudre ceci. J’acquiesçai avec confiance et répondis : « Dans ce cas, demandons à l’auteur. »

« … Qui c’est ? »

« Celle qui a écrit cette préface, évidemment. Yōko Kōriyama-san était une élève de seconde il y a trente-trois ans. Elle devrait avoir quarante-huit ou quarante-neuf ans maintenant. »

Chitanda écarquilla les yeux.

« Alors tu l’as trouvée ? »

Je hochai brusquement la tête.

« Pas besoin. Puisqu’elle est tout proche. »

Ibara leva la tête. Comme prévu, elle fut la première à comprendre.

« Oh ! Je vois ! »

« C’est ça. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Qu’est-ce que tu as compris ? »

Ibara me regarda, et je lui fis signe de la tête pour qu’elle leur explique.

« … C’est Itoikawa-sensei, la bibliothécaire en chef, c’est ça ? Yōko Itoikawa-sensei, son nom de jeune fille doit être Kōriyama. Je me trompe ? »

Ibara étant elle-même bibliothécaire, elle connaissait le nom complet d’Itoikawa, d’où la vitesse à laquelle elle avait réalisé.

« Exactement. Si tu entendais le nom “Satoshi Ibara” sans voir l’orthographe, tu n’aurais aucun moyen de savoir si Satoshi a adopté le nom d’Ibara[2]. Mais puisqu’on sait que le nom d’Itoikawa s’épelle “Yōko”, et que son âge correspond, deviner son nom de jeune fille devient élémentaire. »

Croisant les bras, Ibara commença à cracher ses sarcasmes.

« T’es vraiment bizarre. Même moi je n’avais pas remarqué alors que je la fréquente régulièrement, et pourtant tu as réussi. Peut-être qu’on devrait laisser Chi-chan regarder dans ton crâne. »

Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai eu de la chance et un éclair d’inspiration. Et je ne veux pas être lobotomisé par Chitanda.

Pendant ce temps, Chitanda rougissait de plus en plus.

« A-alors, si on demande à Itoikawa-sensei… »

« On saura ce qu’il s’est passé il y a trente-trois ans. Pourquoi ce n’était pas un conte héroïque, pourquoi la couverture a été dessinée ainsi, et pourquoi l’anthologie a été intitulée “Hyōka”… On aura toutes les réponses sur ton oncle. »

« Mais, tu as des preuves que c’est réellement Itoikawa-sensei ? Ce serait gênant si c’était en fait quelqu’un d’autre… »

On ne se trompera pas. Je jetai un regard à ma montre et considérai que c’était l’heure.

« En fait, je m’en suis déjà assuré. Elle était présidente du club en première. J’ai pris rendez-vous pour en parler avec elle. Ça doit être à peu près l’heure maintenant. Allons à la bibliothèque. »

En me tournant pour partir, je pus entendre Ibara murmurer : « T’es vraiment enthousiaste ».

J’imagine que je le suis.



Durant les vacances d’été, les stores de la bibliothèque sont baissés pour protéger les livres d’une exposition aux intenses rayons du soleil. Dans cet environnement intérieur modérément ventilé, la bibliothèque restait bondée d’étudiants préparant le Festival Kanya et de terminales se préparant aux examens d’entrée aux universités. On pouvait voir Itoikawa écrire quelque chose, assise derrière le comptoir et portant une paire de lunettes que nous n’avions pas vue la dernière fois. Sa silhouette était plutôt petite, et des rides étaient visibles sur son visage, preuve qu’elle avait quitté le lycée il y a presque trente-et-un ans.

« Itoikawa-sensei… »

Elle se tourna et remarqua alors que nous l’appellions. Levant la tête, elle sourit.

« Ah, le club de littérature. »

Elle balaya la bibliothèque des yeux et dit : « C’est noir de monde ici. Et si nous allions dans mon bureau ? »

Et elle nous conduisit dans un bureau derrière le comptoir.

Son bureau était un lieu confortable et suffisamment grand pour qu’une personne puisse travailler, bien que la climatisation y soit considérablement plus petite. Les stores étant ouverts, elle alla les baisser en nous faisant signe de prendre place sur le canapé réservé aux invités. On pouvait sentir un doux parfum, provenant d’un pot de fleur placé sur l’unique table de la pièce. C’était une fleur très commune et facile à manquer, et était probablement destinée à être admirée, non pas par ses invités, mais par elle.

Malgré sa taille, le canapé n’était pas assez grand pour nous quatre. Itoikawa décida donc de déplier une chaise et de la placer à côté du canapé. Mais pourquoi fut-ce moi qui dut m’asseoir sur cette chaise tandis que les trois autres s’asseyaient sur le canapé ? Itoikawa s’assit sur sa chaise pivotante. Posant ses coudes sur la table, elle nous fit face et demanda gentiment : « Eh bien, de quoi vouliez-vous me parler ? »

Puisqu’elle s’adressait à tout le club de littérature, il était naturel que je parle au nom du club. Je m’efforçais d’ignorer ce désir de croiser les bras et les jambes face à une situation à laquelle je n’étais pas habitué, et répondit avec courtoisie : « Oui, il y a quelque chose que nous souhaiterions vous demander. Mais d’abord, nous aimerions confirmer quelque chose. Votre nom de jeune fille est-il bien Kōriyama ? »

Elle acquiesça.

« Donc ceci a été écrit par vous, n’est-ce pas ? »

Je sortis la copie de ma poche et la lui remis.

« Oui, c’est moi. Mais je suis surprise qu’elle ait été préservée. »

J’eus l’impression qu’elle baissa son regard.

« Je crois savoir de quoi vous vouliez discuter avec moi. Pour que des étudiants du club de littérature me demandent mon nom de jeune fille, j’avais une idée de ce qu’il se passait… Vous voulez des informations sur le mouvement d’il y a trente-trois ans, c’est cela ? »

Bingo, elle sait.

Cependant, contrastant avec les attentes sur nos visages, elle se contenta de soupirer.

« Mais, pourquoi poser des questions sur un événement aussi lointain ? Cela aurait été mieux de l’oublier. »

« Eh bien, c’est principalement à cause de Chitanda, ici présente, qui ne laisse passer aucun détail étrange, comme une détractrice. Autrement, je n’y aurais même pas prêté attention. »

« Une détractrice ? »

« Pardon, je voulais dire comme une détective[3]. »

Itoikawa et Satoshi sourirent tous les deux, tandis qu’Ibara donnait un regard exaspéré. Chitanda protesta légèrement, mais je l’ignorai. Itoikawa sourit tendrement à Chitanda et lui demanda : « Et pourquoi es-tu intéressée par ce mouvement ? »

Je remarquai Chitanda serrer ses poings sur ses genoux. Elle était probablement nerveuse et répondit brièvement : « Jun Sekitani était mon oncle ».

Itoikawa laissa échapper un halètement.

« Oh, je vois, Jun Sekitani… Un nom plein de nostalgie. Comment va-t-il ? »

« Je n’en ai aucune idée ; il a été porté disparu en Inde. »

Elle haleta de nouveau : « Oh ». Peut-être vivre cinquante ans signifiait qu’elle avait tout vu ?

« Je vois. Et j’avais toujours voulu le revoir une fois de plus. »

« Moi aussi. Je voulais juste le revoir encore une fois. »

Jun Sekitani était-il une personne digne d’être rencontrée une fois de plus ? Je ne pouvais m’empêcher de me demander si je devais moi aussi le rencontrer.

Comme emplie d’émotions, Chitanda parla lentement : « Itoikawa-sensei, dites-moi s’il vous plaît, que s’est-il passé il y a trente-trois ans ? Pourquoi l’incident dans lequel mon oncle fut impliqué n’était-il pas un conte héroïque ? Pourquoi l’anthologie du club de littérature est-elle intitulée “Hyōka” ? Les déductions d’Oreki-san sont-elles correctes ? »

« Ses déductions ? »

Itoikawa me demanda : « Que voulez-vous dire par là ? »

Satoshi répondit : « Sensei, Oreki a réussi à déduire ce qui a pu se passer il y a trente-trois ans à partir du peu d’informations que nous avions rassemblées. Peut-être que vous devriez l’écouter. »

On dirait que je dois répéter ce que j’ai dit hier. Non, même si j’avais prévu de le faire, je n’avais pas encore réalisé que ce n’était sans doute que spéculations pour quelqu’un qui avait effectivement vécu l’incident. Malgré ma confiance en mes déductions, une part de moi pensait que j’aurais pu avoir tort. Je léchai mes lèvres et commençai mon explication en utilisant la même méthode que la veille.

« D’abord, le personnage principal de l’incident… »

Notes du traducteur et références[edit]

  1. Hyōka a été publié en 2000, avant la dissolution de la Yougoslavie et l'indépendance du Kosovo [1]
  2. Un même nom ou prénom peut s’écrire de plusieurs façons différentes en japonais. Par exemple, Yōko : ようこ, 八子, 呼虹, 夜子… Il existe plusieurs dizaines d’orthographes différentes pour écrire “Yōko”
  3. Jeu de mot original : 猛獣 (bête sauvage, bête de proie)/亡者 (les morts)


Revenir au Chapitre 06 - Les Vieux Jours du Glorieux Club de Littérature Classique Retourner au Sommaire Avancer au Chapitre 08 - Le Quotidien du Futur Club de Littérature Classique